Depuis le début de la guerre menée en violation du droit international par le gouvernement russe sur le sol ukrainien, les personnes qui vivent là-bas sont confrontées à la violence, au deuil et à l’exil. Mais la société russe souffre elle aussi massivement du régime autoritaire de Vladimir Poutine. Les personnes qui militent pour les droits humains et la paix, notamment, font l’objet d’une répression sans précédent. Pour poursuivre leur engagement, il ne leur reste souvent que l’exil. Les mesures répressives touchent aussi le travail de la SPM.
Andrei Danilov est l’une des nombreuses voix courageuses de la société civile russe. Depuis des années, le militant sami s’engage pour la participation aux décisions politiques et la reconnaissance du mode de vie de sa minorité en Arctique. Il est originaire d’Olenogorsk, une ville située à l’est de la frontière finno-russe, au coeur du Sápmi, territoire où vivent au moins 80 000 Sami·e·s. Son engagement en faveur du droit à la chasse traditionnelle et contre le non-respect des droits autochtones par les grands groupes l’exploitation de matières premières proches de l’Etat, tels que Norilsk Nickel, a fait de lui une personnalité publique. En tant que membre du comité de la culture du Sami Council et directeur de la Sami Cultural Heritage and Development Foundation, il est politiquement exposé.
Suite à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, Andrei Danilov a dû quitter sa maison et se réfugier en Norvège. Dans le climat de peur actuel, sa sécurité n’était plus garantie. Cette crise a également des conséquences pour la SPM : afin de protéger ses partenaires, dont Danilov fait partie, et leurs proches en Russie, elle a décidé, après avoir bien pesé le pour et le contre, de supprimer de ses canaux en ligne tous les contenus sur les autochtones russes, pour le moment. Le risque était devenu trop grand de mettre en danger la vie des militant·e·s en publiant leurs photos et leurs prises de parole.
Une longue histoire d’oppression
La répression étatique à l’égard de militant ·e·s comme Andrei Danilov ne date pas d’hier : depuis des années, ils·elles sont victimes de tracasseries administratives, font l’objet d’arrestations arbitraires et leurs activités et contacts sont surveillés surveillés. Mais la manière dont l’Etat russe tente à présent de tuer dans l’oeuf toute velléité d’opposition est sans précédent.
Depuis le début de la guerre, la Douma, proche du gouvernement, a adopté plusieurs lois. L’interdiction de parler de guerre rend impossible toute couverture
médiatique des faits réels. En outre, depuis début mars, toute personne critiquant les institutions étatiques encourt jusqu’à 15 ans de prison. Depuis, des milliers de manifestant·e·s ont été blessé·e·s ou emprisonné ·e·s. Les médias indépendants
ont dû cesser leur activité et l’accès aux réseaux sociaux a été bloqué et plusieures
organisations de défense des droits humains ont été interdites. Dans ce silence
ordonné par l’Etat, seules n’ont de portée les informations couvrant la propagande
mensongère du Kremlin.
Poutine et son cercle dirigeant intensifient une politique d’oppression que l’on a laissé faire ces dernières années : aux campagnes militaires menées depuis 1999 par Poutine, les Etats membres de l’OTAN n’ont réagi que par des sanctions symboliques, continuant toutefois de courtiser le dirigeant russe, considéré comme partenaire. Les espoirs d’une démocratisation de la Russie et de transactions commerciales avec ce pays riche en matières premières étaient trop grands.

De nombreuses communautés vivent encore de manière très traditionnelle en tant que gardiennes de rennes nomades, pêcheuses et chasseurs. (Photo: Ally Alegra)
La population civile paie la facture
Face aux exécutions ciblées et aux bombardements de civil·e·s sur le territoire ukrainien, les organes internationaux occidentaux dominés par les Etats-Unis ont aujourd’hui répondu par l’adoption de sanctions sévères. Le fait que Poutine et les entreprises proches de l’Etat ne soient plus encensés est à saluer. Mais les sanctions affectent surtout la population russe. Avec l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe, la population russe se voit privée d’un accès à la Cour européenne des droits humains. Une cour devant laquelle 25 % des plaintes sont déposées par des ressortissant·e·s russes. La suspension du Conseil de l’Arctique pourrait elle aussi être lourde de conséquences : même si cette institution se concentre principalement sur la défense d’intérêts géopolitiques et économiques en lien avec la fonte des glaces arctiques causée par le réchauffement climatique, avec sa suspension et avec l’expulsion du Conseil des droits humains de l’ONU, d’autres possibilités disparaissent de traduire en justice la Russie pour violations des droits humains.
Pavel Sulyandziga, membre de la communauté des Oudihé·e·s de l’Extrême-Orient russe, s’engage pour défendre les peuples autochtones menacés en Russie, aussi au sein d’organes des Nations-Unies. Dans une interview, il explique et met en garde sur les répercussions du recul de l’économie russe suite aux sanctions, en particulier dans les régions reculées, peuplées de communautés autochtones. Il craint que les revendications de ces dernières, jusqu’à présent déjà honteusement bafouées, ne disparaissent aujourd’hui complètement de l’agenda politique.
L’exil comme dernier recours
Alors que la Russie est privée de voix au sein d’organes internationaux, le régime se livre à un jeu inquiétant à l’intérieur du pays. C’est ce qu’ont souligné des militant·e·s autochtones en exil, dont font partie Pavel Sulyandziga et Andrei Danilov, dans une déclaration faite à la mi-mars. Ils·elles ont accusé les responsables de l’organisation RAIPON (association russe des peuples autochtones du Nord) de propagande de guerre au service du régime. A l’infiltration de l’organisation par des personnes proches du Kremlin, ils·elles ont répondu par la création d’un comité international des peuples
autochtones de Russie (ICIPR) et poursuivent leur travail en exil dans le cadre de ce dernier.
Andrei Danilov, membre du ICIPR, est profondément bouleversé par la destruction en Ukraine et son exil forcé. Et c’est la raison pour laquelle, inlassablement, il rappelle lors de ses nombreuses prises de parole à quel point il est important, plus que jamais, de défendre les droits humains en Russie. Pour cela, il peut compter sur le Parlement sami, la SPM et une prise de conscience de la communauté internationale qui, espérons-le, durera. En effet, même s’il est difficile d’évaluer aujourd’hui les conséquences de la crise et que la situation à l’égard des droits humains en Russie s’assombrit fortement, la conscience nouvellement renforcée de l’opinion publique européenne à l’égard de l’Etat répressif qu’est la Russie et une solidarité sans précédent pourraient ultérieurement faire souffler un vent favorable pour le travail de défense des droits humains en Russie.
Article de la revue « Voice », juin 2022
Texte : Jochen Wolf stagiaire communication SPM