Exemple concret

Lithium : « l’or blanc » du Chili épuise les ressources en eau des communautés autochtones

Le désert sud-américain d’Atacama dispose des plus grandes réserves de lithium du monde. Etats et multinationales y convoitent un commerce très lucratif mais les communautés autochtones se mobilisent : avec l’exploitation du lithium dans le désert, les réserves d’eau se réduisent et menacent de se tarir.

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Le désert d’Atacama au Chili abrite de nombreuses communautés autochtones. Mais la crise climatique et l’industrie minière réduisent les réserves en eau déjà limitées de la région. Particulièrement gourmande en eau, l’extraction du lithium risque de priver les communautés autochtones de leurs moyens de subsistance et de détruire l’écosystème fragile du désert. Au lac salé de Maricunga, les communautés autochtones luttent contre la création d’une nouvelle mine de lithium.

Le désert d’Atacama fait partie de la région nommée « triangle du lithium ». Ce haut plateau où se rejoignent Argentine, Bolivie et Chili concentre, selon les estimations, environ trois quarts des réserves mondiales de lithium. Depuis des siècles, cette région inhospitalière est peuplée de communautés autochtones qui ont appris à s’adapter aux conditions de vie difficiles. Or, la crise climatique n’épargne pas non plus le lieu le plus aride de la planète : les périodes de sécheresse y deviennent de plus en plus fréquentes et prolongées tandis que les réserves en eau déjà réduites s’amenuisent dangereusement.

La raréfaction des ressources en eau s’accélère dramatiquement dans les lacs salés de la région en raison de l’extraction du lithium : ce minerai est un composant essentiel des batteries de véhicules électriques, qui suscitent de grands espoirs dans la lutte contre la crise climatique. Cependant, selon le classement de la coalition Lead the Charge, la note moyenne des principaux constructeurs de voitures électriques en matière de préservation et de respect des droits des communautés autochtones n’est que de 6 %. Avec la demande exponentielle en lithium destiné à l’industrie des véhicules électriques, une course entre les Etats et les multinationales a été lancée pour trouver le plus rapidement possible de nouveaux gisements de lithium. Selon les estimations, le Chili possède les plus grandes réserves en lithium du monde. L’Etat chilien voit en ce minerai une manne financière bienvenue ; c’est pourquoi le président Gabriel Boric a annoncé en 2023 la mise en place d’une stratégie nationale sur le lithium.

Mais des communautés autochtones vivant dans le désert d’Atacama restent littéralement à sec à cause du boum pour « l’or blanc ». Depuis des décennies déjà, des projets d’extraction minière – notamment d’or, de cuivre ou de fer – pèsent sur les maigres réserves en eau du désert, et aujourd’hui, c’est l’extraction du lithium qui menace de les épuiser totalement. Les communautés concernées, comme les Lickanantay de la région du lac salé d’Atacama, signalent depuis longtemps que leur approvisionnement en eau dépend des lacs salés situés plus haut dans les Andes. Or le système des nappes phréatiques dans le désert n’a guère fait l’objet d’études scientifiques. On sait toutefois que l’extraction du lithium est particulièrement gourmande en eau : un rapport de l’ONU en date de 2020 confirme qu’au lac salé d’Atacama, 65 % de la consommation totale en eau est destinée aux mines de lithium. Les conséquences s’en ressentent aussi sur la faune et la flore : selon les conclusions d’une étude publiée en 2022 dans le Royal Society Magazine, la population de flamants roses a diminué de 10 % depuis la mise en service des premières mines de lithium au lac salé d’Atacama. Malgré ce constat, le groupe minier d’Etat Codelco entend bien poursuivre ses projets d’extraction du lithium dans le désert d’Atacama : à quelque 300 km au sud du lac salé d’Atacama se trouve celui de Maricunga. On prévoit de lancer le premier projet de mine de lithium, « Proyecto Blanco », dans cette région nord du pays.

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Le désert d'Atacama, au nord du Chili, est l'endroit le plus sec de la planète. Photo : Sirge/GfbV

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Les Colla sont l'une des nombreuses communautés autochtones qui vivent dans le désert depuis des siècles. Photo : Sirge/GfbV

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L'eau des communautés autochtones provient des montagnes environnantes, où se trouve également le Salar de Maricunga. Photo : Sirge/GfbV

Lutte pour un futur possible dans le désert

L’enjeu est considérable pour les communautés autochtones qui habitent en aval du lac salé de Maricunga, dans le bassin de la vallée de Paipote, et qui exploitent avec succès et depuis des générations ces terres arides. Dans des conditions difficiles, elles y cultivent légumes et fruits, élèvent des animaux et perpétuent des connaissances séculaires sur le désert et ses particularités dans leur mode de vie et leur culture. Aujourd’hui, les lits des cours d’eau menacent de s’assécher et les habitant·e·s auront de plus en plus de difficultés à entretenir leurs champs. Certes, un bassin versant a été défini avant la délivrance du permis d’exploitation de la nouvelle mine du lac salé de Maricunga, et les communautés qui y vivent ont été consultées. Mais beaucoup de villages situés en dehors de cette zone subissent la raréfaction de l’eau. C’est le cas notamment de celui de Lesley Muños Rivera, qui est membre de la communauté colla de Copiapó. Le village niché dans la vallée de Paipote est approvisionné par les cours d’eau des montagnes environnantes. Si l’eau venait à se tarir dans sa vallée, la communauté de Lesley serait contrainte d’abandonner sa vie dans le désert. « Nous nous opposons au projet de mine de lithium car le lac salé de Maricunga est l’une de nos principales sources d’approvisionnement en eau. Nous voulons continuer de vivre ici et y avoir un avenir pour notre communauté et notre terre », affirme Lesley, membre du comité exécutif de la coalition SIRGE, qui s’engage en faveur des droits autochtones dans l’économie verte et qui appartient également à la SPM.

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Des conséquences incertaines

La méthode d’extraction du lithium la plus courante est celle de l’évaporation : l’eau des lacs salés est conduite dans des bassins plats où elle s’évapore par l’action du soleil. Seul reste le sel de lithium cristallisé. C’est ainsi qu’est exploité depuis des années le lithium du lac salé d’Atacama. Les exploitant·e·s des mines arguent certes que la limite supérieure de consommation d’eau prescrite par l’Etat n’est pas dépassée. Or cette limite repose sur des études obsolètes qui ne correspondent plus du tout aux conditions actuelles dans le désert.

Au printemps 2024, le groupe minier d’Etat Codelco a acheté la société australienne Lithium Power International, à l’initiative du « Proyecto Blanco » dédié à l’exploitation de la mine du lac salé de Maricunga. Tandis que le minerai devrait être dans un premier temps extrait selon la méthode connue d’évaporation, les exploitant·e·s de la mine veulent dans un futur proche mettre en place une nouvelle méthode dite « d’extraction directe ». Cette dernière consiste à ajouter un solvant à l’eau qui a pour effet de séparer les particules de lithium de l’eau. Les particules sont filtrées et l’eau finalement rejetée dans le lac salé. La perte d’eau étant fortement réduite de cette façon, l’extraction dite directe est présentée comme particulièrement respectueuse de l’environnement. Les expert·e·s alertent toutefois sur le fait qu’il n’existe pas d’études sur le long terme concernant les effets de cette méthode et de la modification de la composition chimique de l’eau sur la vie du lac salé de Maricunga. « Une seule et unique étude ne suffit pas pour déterminer l’impact au long terme de l’extraction sur cet écosystème fragile », souligne la géologue Maccarena Naveas. Malgré les réticences des spécialistes et de la communauté autochtone, l’exploitation de la mine a déjà été autorisée par les autorités environnementales locales et les prospections sont engagées sur le site du lac salé de Maricunga.

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Dans la partie nord du Salar de Maricunga, la première mine de lithium du lac salé devrait bientôt voir le jour. Photo : Sirge/GfbV

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Lesley Muñoz Rivera et sa communauté s'opposent à l'exploitation du lithium au Salar de Maricunga, qui menace l'approvisionnement en eau du désert. Photo : Sirge/GfbV

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La géologue Maccarena Naveas partage les inquiétudes des communautés autochtones : L'impact de l'exploitation du lithium sur l'écosystème unique et l'approvisionnement d'eau de la région n'a guère été étudié. Photo : Sirge/GfbV

Résistance des communautés autochtones

La communauté de Lesley Muños Rivera ainsi que d’autres parties concernées ont déposé un recours contre le permis minier auprès du tribunal en charge des questions environnementales, après avoir déposé une plainte auprès des autorités locales suite aux résultats des études d’impact environnemental. Mais le procès piétine et le jugement se fait toujours attendre. « Dans le cadre de la stratégie nationale sur le lithium, nous menons également une procédure de consultation avec le ministère en charge de l’exploitation minière », explique Lesley. « Au Chili, ces consultations ne visent pas à obtenir le consentement d’une communauté pour un projet prévu sur ses terres, mais portent sur les mesures de limitation des dommages et les indemnisations. »

Les communautés défendent leur droit à l’autodétermination et insistent sur le fait que le savoir autochtone sur le désert doit être pris en compte pour éviter des conséquences irréversibles sur l’écosystème. Les organisations SIRGE les aident à différents niveaux. Elles ont mené avec Earthworks une étude hydrogéologique dont les résultats renforcent la thèse selon laquelle l’extraction du lithium sur le lac salé de Maricunga aura un impact sur l’alimentation en eau mais aussi sur la faune et la flore de la vallée de la communauté colla. Bien que le permis minier ait été délivré sur la base de l’absence de lien direct entre le lac salé et le système des nappes phréatiques dans la région, les résultats de l’étude prouvent clairement le contraire. L’étude laisse présumer qu’une lagune située sur le lac salé de Maricunga joue un rôle important dans l’approvisionnement en eau souterraine dans la région. Une autre organisation membre de la SIRGE, Cultural Survival, aide la communauté à construire un musée et à poursuivre un projet de plantes médicinales afin de préserver les connaissances traditionnelles de la communauté colla et d’analyser les effets de la raréfaction de l’eau sur les plantes. Enfin, First Peoples Worldwide documente les procédures de consultation avec le ministère en charge de l’exploitation minière qui sont en cours.

Elena Rivera, la mère de Lesley Muñoz Rivera, est la présidente de la communauté colla de Copiapó.

Colonialisme au nom du développement durable

Dans la partie argentine et bolivienne du « triangle du lithium », les communautés quechua et aymara dénoncent aussi la raréfaction croissante de l’eau en raison de la crise climatique et de l’industrie minière. Tandis que les communautés autochtones des Andes subissent déjà aujourd’hui les conséquences du changement climatique lié à l’activité humaine, leur situation ne fait que s’aggraver davantage avec l’extraction du lithium destiné à l’industrie « écologique » des véhicules électriques. Dans de nombreux projets, les Etats et les multinationales enfreignent le droit autochtone à un consentement libre, préalable et éclairé (en anglais free, prior and informed consent, FPIC). « L’extraction du lithium menace notre mode de vie. Nos gouvernements se sont engagés à respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des communautés autochtones et le droit à l’autodétermination. Et jusqu’à maintenant, nous n’avons toujours pas été consultés sur l’extraction du lithium dans les lacs salés », critique Carlos Mamani, membre du comité de pilotage de la SIRGE et membre de la communauté aymara qui vit dans la partie bolivienne du « triangle du lithium ».

C’est un modèle colonial qui se reproduit avec l’extraction du lithium dans le désert d’Atacama, où des problèmes principalement engendrés par les pays du Nord ont de graves répercussions sur les communautés autochtones. Au nom du développement durable, les communautés autochtones se voient de nouveau usurper leurs droits, leurs terres, et à plus long terme leur culture et leur identité. En parallèle, des projets prétendument « durables » sont mis en avant alors que leur impact sur l’environnement n’a pas été suffisamment étudié. Plutôt que de pratiquer un « colonialisme vert », il est urgent de respecter les droits des communautés autochtones et d’envisager les connaissances autochtones sur la terre et la nature comme solution pour une gestion durable de notre planète et de ses ressources.

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