09. juin 2023
Nouvelles
Brésil : « La suspension de l’audience signifie la continuité de la violence envers les communautés autochtones »

Les débats de la Cour suprême du Brésil au sujet du territoire de la communauté autochtone des Xokleng ont de nouveau été suspendus. Cette suspension intervient suite à la demande d’un juge de bénéficier temps supplémentaire pour étudier le dossier. La SPM et ses organisations partenaires y voient une manœuvre politique destinée à empêcher que la reconnaissance de ce territoire ne crée un précédent en faveur des droits autochtones.
Le 7 juin 2023, la Cour suprême du Brésil a accédé à la demande du juge André Mendonça de bénéficier de davantage de temps pour étudier le dossier relatif à la reconnaissance du territoire « Ibirama La Klãnõ » sur lequel vit la communauté autochtone des Xokleng, suspendant ainsi une nouvelle fois les débats pour 90 jours. L’affaire en question constitue un précédent concernant le « Marco Temporal ». En effet, le procès en cours porte sur le droit de communautés autochtones de revendiquer des territoires pour lesquels elles ne sont pas en mesure de prouver qu’elles y vivaient déjà lors de l’entrée en vigueur de la Constitution brésilienne, le 5 octobre 1988.
La situation est on ne peut plus perfide : les Xokleng habitaient déjà l’« Ibirama La Klãnõ » pendant longtemps avant d’être tué·e·s en masse et chassé·e·s de leurs terres par les colonisateurs européens au cours des XIXe et XXe siècles. Depuis, des entreprises et des populations non autochtones s’approprient des portions toujours plus importantes du territoire des Xokleng pour y pratiquer l’agriculture à grande échelle. L’« Ibirama La Klãnõ » est loin d’être un cas isolé : aujourd’hui, plus des deux tiers des communautés autochtones vivent sur des terres qu’elles ont fui à l’arrivée des colonisateurs et durant les années de dictature militaire du parti d’extrême-droite. Elles n’y habitent par conséquent que depuis les années qui ont suivi 1988.
La question fondamentale du droit de communautés autochtones à revendiquer des terres qu’elles ont fuies avant d’y revenir se retrouve également dans le projet de loi PL 490/07. Le projet, aujourd’hui inscrit sous le numéro PL 2903, est actuellement débattu devant le Congrès brésilien. Le texte prévoit qu’un territoire autochtone puisse ne pas bénéficier du statut de protection si la communauté autochtone concernée n’est pas en mesure de prouver sa présence sur ledit territoire avant 1988 et que, dans ces conditions, aucun nouveau territoire ne soit reconnu. La Chambre des députés a déjà approuvé ce projet. Mais le Sénat n’a pas encore rendu sa décision. Sachant que la droite est majoritaire au Sénat, on peut craindre que ce dernier se prononce également en faveur du projet de loi et donc du « Marco Temporal ».
Quel précédent juridique ?
Le juge André Mendonça, choisi par l’ancien président d’extrême-droite Jair Bolsonaro pour siéger à la Cour suprême fédérale, joue la montre. En effet, l’orientation politique de la Cour suprême étant plus modérée que celle du Sénat, sa décision pourrait par conséquent jouer en faveur des communautés autochtones et créer ainsi un cadre de référence que les communautés autochtones pourraient à l’avenir utiliser afin de faire valoir leur droit à leur territoire. Avec la suspension des débats, André Mendonça obtient que la Cour suprême fédérale ne statue sur le cas « Ibirama La Klãnõ » qu’après un délai supplémentaire de 90 jours, et donc très probablement après la décision du Sénat sur le « Marco Temporal ». Le risque de voir alors la Cour suprême statuer dans le sens du Sénat – et la création d’un précédent juridique hostile aux autochtones – est grand.
Une décision de la Cour suprême fédérale allant dans le sens du « Marco Temporal » serait extrêmement dangereuse. Elle sous-entendrait que le droit des communautés autochtones à vivre sur leurs terres est négociable. Or, comme le souligne Dinamam Tuxá, coordinateur de l’APIB (organisation faîtière des autochtones brésiliens), « nos droits ne sont pas négociables et nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. La demande du juge André Mendonça, soutenu par Bolsonaro, de bénéficier de plus de temps pour étudier le dossier signifie la continuité de la violence envers les communautés autochtones. »
Photo: Brent Millikan/International Rivers vis Flickr