Factsheet :

La justice climatique et les droits des communautés autochtones

Photo: Pixabay

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Les coûts de l’économie « verte »

Face à la crise climatique et ses conséquences mondiales, les gouvernements prennent de plus en plus conscience de l’urgence de la situation. Un changement s’opère au niveau politique et économique pour sortir des énergies fossiles et se tourner vers les énergies « vertes », changement désigné sous le nom de transition énergétique. Les solutions technologiques actuellement mises en place pour y parvenir nécessitent le recours à des quantités particulièrement élevées de minerais et métaux. En conséquence, de nouveaux projets d’extraction de minerais tels que le lithium, le cobalt, le cuivre et l’aluminium voient le jour. Ces minerais, essentiels à la transition énergétique, sont appelés minerais de transition. Le lithium, par exemple, est nécessaire pour fabriquer les batteries des voitures électriques. En 2022, 74 % du lithium consommé dans le monde étaient utilisés pour les batteries lithium-ion.

Les immenses quantités de minerais nécessaires à la transition énergétique ont fait entrer l’extraction des matières premières dans une nouvelle ère : les projets miniers se multiplient et sont source de revendications
territoriales. La transition énergétique engendre de ce fait de nouveaux risques écologiques et sociaux. Y compris pour les communautés autochtones : une étude de 2022, portant sur 5097 projets miniers menés à l’échelle mondiale et 30 minerais de transition, a révélé que 54 % de ces projets ont lieu sur des territoires autochtones ou à proximité. La planification et l’exécution des projets miniers menacent les droits des communautés autochtones, notamment leur droit à l’autodétermination ou leur droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) inscrit dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

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Les mines engendrent de nombreuses conséquences néfastes pour la nature environnante et les communautés qui vivent à proximité. Un risque élevé pèse sur les hydrosystèmes : les mines, qui consomment d’importantes quantités d’eau, se trouvent dans des territoires où les risques liés à l’eau sont élevés, p. ex. graves pénuries d’eau. Ainsi, 65 % des ressources en lithium se trouvent dans des territoires où les risques liés à l’eau sont déjà modérés à très élevés. Les mines menacent encore plus le recours à l’eau potable et les besoins en eau des communautés autochtones pour leurs activités agricoles. En outre, elles polluent et empoisonnent l’eau encore disponible. Chaque année dans le monde, plus de 220 millions de tonnes de déchets miniers sont déversées directement dans les lacs, les rivières et les océans, ce qui pollue l’eau sur le long terme.6 L’impact négatif des mines n’est pas toujours visible tout de suite : la pollution et les dégâts écologiques à long terme sont souvent plus difficiles à démontrer et constituent une forme de « violence lente ». Par ailleurs, l’extraction des minerais entraîne souvent l’expulsion de communautés et nécessite la construction d’importantes infrastructures telles que des routes, des ports ou des barrages qui s’étendent bien au-delà des mines. Il en va de même pour d’autres projets menés au nom de la transition énergétique, p. ex. des parcs hydrauliques, éoliens ou photovoltaïques qui, même sans exploiter les ressources, occupent des terres et limitent de fait fortement les espaces de vie.

L’exploitation des terres autochtones sans le consentement des communautés qui y vivent ne date pas d’hier. Mais qu’aujourd’hui elle continue sous prétexte de solutions « vertes » constitue une forme de « colonialisme vert » que les militant·e·s autochtones ne cessent de dénoncer. Le « colonialisme vert » désigne la poursuite d’un modèle colonialiste basé sur l’accaparement de biens et l’exploitation des terres sous couvert d’arguments écologiques. On justifie désormais au nom de « l’économie verte » l’exploitation des êtres humains et de la nature à des fins de profit et de croissance économique. Le cas du parc éolien de Fosen construit sur des terres autochtones en Norvège, par exemple, révèle une forme de «green grabbing» : un accaparement (colonial) des ressources et des terres à des fins environnementales. Qualifier de « verts » des projets de la sorte est une absurdité, car en réalité ils encouragent l’expropriation et l’exploitation, et reproduisent des injustices. La SPM défend par conséquent l’idée que les solutions pour sortir de la crise climatique ne doivent pas porter atteinte aux droits des communautés autochtones.

La SPM demande que le droit à l’autodétermination autochtone, exercé au travers du consentement libre, préalable et éclairé (CLPE), soit respecté pour tous les projets qui concernent les communautés autochtones, et soutient donc en priorité les approches de solutions axées sur la justice climatique.

La coalition SIRGE

La coalition Securing Indigenous Peoples’ Rights in the Green Economy (SIRGE) est une coalition internationale menée par un comité de direction composé de représentant·e·s autochtones des sept grandes régions
autochtones. La coalition SIRGE a pour objectif de garantir les droits des communautés autochtones dans le cadre de « l’économie verte » et de les défendre, en revendiquant notamment le respect du principe du consentement libre, préalable et éclairé (CLPE). La coalition SIRGE est composée de cinq organisations : Cultural Survival, First Peoples Worldwide, Batani Foundation, Earthworks et la Société pour les peuples menacés.

Les activités de la coalition SIRGE consistent par exemple :

  • à soutenir les communautés autochtones dans leur opposition face aux violations de leurs droits par les
    entreprises d’exploitation de matières premières, p. ex. par le biais d’aides financières, de publication de
    recherches, de mise en réseau, de campagnes et d’activisme actionnarial ;
  • à dialoguer avec les fabricants de batteries et de voitures électriques et les entreprises minières sur la
    façon de respecter les droits des communautés autochtones et d’ancrer ces derniers dans leurs règlements
    et processus internes ;
  • à participer à des activités de lobbying à Bruxelles et aux Etats-Unis pour que les droits des communautés
    autochtones soient inscrits dans toutes les lois pertinentes en rapport avec la transition énergétique.

Le droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE)

Le droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) – ou Free, Prior and Informed Consent (FPIC) en anglais – désigne le droit des communautés autochtones de donner, de refuser de donner ou de retirer leur accord pour toutes les activités les concernant ou touchant à leur espace de vie. Le CLPE est particulièrement important dans le cas de projets d’exploitation minière et d’infrastructure. Ce droit désigne la mise en oeuvre opérationnelle de l’autodétermination des communautés autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources. Il garantit aux communautés autochtones la possibilité de déterminer si et dans quelle mesure un projet peut se dérouler sur leurs terres. La coalition SIRGE et la SPM oeuvrent pour le respect de ce droit. Le droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) est inscrit dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

Définition du consentement libre, préalable et éclairé

Consentement

Il fait référence à la décision collective des communautés autochtones de donner ou non leur consentement. Cette décision est obtenue à l’issue de processus de prise de décision propres aux communautés
concernées. Le consentement peut être soumis à des conditions fixées par les communautés autochtones et peut également être retiré à tout moment du projet.

Libre

Le consentement est obtenu librement, sans coercition, intimidation ou manipulation. Le processus est piloté par la communauté à qui le consentement est demandé, et doit se dérouler sans qu’il n’y ait d’attentes ni de contraintes temporelles imposées par des tiers.

Préalable

Le consentement est obtenu suffisamment tôt avant l’approbation ou le début des activités envisagées, ce qui permet aux communautés autochtones de disposer du temps nécessaire pour conduire leurs propres processus de décision.

Eclairé

Le consentement n’est considéré comme raisonnablement obtenu que si des informations objectives et exactes relatives aux activités prévues ont été communiquées sous une forme qui soit accessible aux communautés autochtones.

Conflits liés aux minerais de transition sur les terres autochtones

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Inégalités géographiques : répartition mondiale des projets miniers portant sur l’extraction de minerais de transition

Les peuples autochtones gèrent plus d’un quart des terres de notre planète et ce quart abrite 80 % de la biodiversité restante. Ils gèrent également près d’un cinquième de l’ensemble du carbone capté par les forêts tropicales et subtropicales (218 gigatonnes) ainsi que 40 % des zones protégées dans le monde. Les territoires des communautés autochtones coïncident ainsi avec les environnements naturels de la planète qui sont les moins exploités de manière intensive. En dépit de l’immense responsabilité qu’elles assument dans la sauvegarde de l’environnement, les communautés autochtones sont touchées de manière disproportionnée par la crise climatique (augmentation du niveau de la mer, événements climatiques extrêmes, sècheresse, incendies de forêt et érosion côtière).

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Elles subissent par ailleurs de plein fouet les conséquences négatives des solutions préconisées dans le cadre de la transition énergétique, notamment l’exploitation accrue des minerais de transition sur leurs territoires (voir la carte en haut). Une étude portant sur 5097 projets miniers et 30 minerais de transition a été menée en 2022. Les mines sont représentées par des points sur la carte. Les conclusions de l’étude montrent que 54 % des projets se trouvent sur des territoires autochtones ou à proximité. Le fait qu’aujourd’hui les territoires autochtones sont non seulement touchés par la crise climatique mais également et de manière disproportionnée par les solutions de transition énergétique souligne également la poursuite d’un modèle colonialiste basé sur l’accaparement de biens et l’exploitation. L’expropriation des terres autochtones en faveur de l’exploitation des richesses du sous-sol et du développement industriel génère des conflits environnementaux.

Contexte géopolitique

Avec la transition énergétique, la demande en minerais de transition a explosé. Selon les contextes politiques, les minerais de transition sont également appelés « minerais critiques ». Le terme englobe une série de minerais tels que le lithium, le cuivre, le cobalt, le nickel ou les terres rares, jugés essentiels aux technologies résultant de la transition énergétique, et pour lesquels des ruptures d‘approvisionnement pourraient survenir. Cette situation entraîne des tensions géopolitiques : à travers le monde, les gouvernements tentent de s’assurer l’accès aux matières premières des mines dites « stratégiques », et de conclure des partenariats. Dans de nombreux cas, cela conduit à une accélération des procédures d’autorisation, par exemple dans le cas d’autorisation de nouveaux projets miniers. Cette accélération est également connue sous le nom de « fast-tracking » ou procédure accélérée. A titre d’exemple, le gouvernement américain a classé la mine de lithium près de Thacker Pass (Peehee Mu’huh) comme « stratégique », ce qui a permis d’approuver son autorisation en passant par une procédure accélérée. Les communautés autochtones qui ont un lien avec Peehee Mu’huh, n’ont pas été suffisamment consultées, ni par le gouvernement américain ni par les entreprises minières.

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Les procédures accélérées sont encouragées par de nouvelles règlementations. L’Union européenne, par exemple, travaille actuellement à l’élaboration d’une législation sur les matières premières « critiques ». Ce paquet législatif est destiné à encourager l’extraction de matières premières « critiques » au niveau régional, et à garantir et diversifier les importations provenant de pays hors UE. Cela doit permettre de sécuriser les chaînes d’approvisionnement en faveur de la « transition verte » et de la transition numérique, de même que pour les technologies militaires. Des pays comme l’Australie, le Brésil, le Pérou et l’Afrique du Sud ont également adapté leurs bases légales relatives aux projets miniers : des règles plus souples doivent servir à encourager les investissements dans l’exploitation minière.

Au vu de la mutation économique et de la demande croissante en minerais de transition, investir dans des projets en pleine expansion est également devenu plus intéressant pour les entreprises et les banques suisses. Ces investissements étant considérés comme urgents, la carte de la protection de l’environnement est jouée contre les droits des communautés autochtones, créant ainsi de nouveaux conflits.

Projets « verts » sur les territories autochtones

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Exemples concrets de mines exploitant des minerais de transition sur des terres autochtones

Les communautés autochtones sont touchées de manière disproportionnée par l’exploitation minière et ses conséquences négatives, comme le montre l’Atlas des conflits pour la justice environnementale (EJAtlas). Celui-ci recense les cas d’injustice environnementale dans le monde et a ainsi documenté 1044 conflits qui concernent 740 communautés autochtones. L’exploitation minière est à l’origine de près d’un quart des conflits environnementaux et le principal pollueur, tous secteurs économiques confondus. Partout dans le monde, les communautés autochtones manifestent de plus en plus leur opposition et entreprennent des démarches juridiques afin de mettre un terme à l’exploitation coloniale qui se répète et s’intensifie, ainsi qu’à la violence que génère l’exploitation de minerais de transition.

Etats-Unis : le lithium de Thacker Pass/Peehee Mu’huh

En mars 2023, la société Lithium Americas a commencé la construction d’une mine de lithium sur le site de Peehee Mu’huh. Pour les communautés autochtones qui y vivent, Peehee Mu’huh revêt une signification historique, culturelle et religieuse importante. En effet, le site fut le théâtre du massacre de Païutes par des troupes de la cavalerie américaine en 1865. Depuis, Peehee Mu’huh est considéré par les Païutes comme un lieu de sépulture sacré. La construction de la mine sur le site de Peehee Mu’huh se heurte à une vive résistance de la part de militant·e·s et de groupes autochtones qui s’engagent pour la protection de cette terre. Ils·elles craignent qu’en plus de porter atteinte à la dimension sacrée du lieu, la mine ne détruise également l’habitat de la faune qui s’y trouve et ne pollue la nappe phréatique. A coups de slogans tels que « La vie plutôt que le lithium », ils·elles se mobilisent contre la mine et revendiquent clairement que les profits de Lithium Americas ne doivent pas passer avant la préservation de leur espace de vie.

Les communautés autochtones sensibilisent le grand public aux conséquences de la mine de lithium de Peehee Mu’huh sur leur lieu de sépulture ancestral, leurs ressources en eau et la faune.Photo : Chanda Callao/@Peopleof- redmountain

Les communautés autochtones sensibilisent le grand public aux conséquences de la mine de lithium de Peehee Mu’huh sur leur lieu de sépulture ancestral, leurs ressources en eau et la faune. Photo : Chanda Callao/@Peopleofredmountain

En janvier 2021, le gouvernement américain avait délivré la licence, d’une valeur de deux milliards de dollars, autorisant la construction de la mine. Les autorités américaines ont accéléré la procédure juridique (« fast-tracking ») concernant la construction de la mine de lithium, passant ainsi outre le droit des communautés autochtones au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE). La société Lithium Americas, dont le siège est au Canada, a donc obtenu les droits relatif aux constructions. Selon Lithium Nevada Corporation, filiale de Lithium Americas, la mine de Thacker Pass deviendrait ainsi la plus importante source de lithium d’Amérique du Nord.

Le cas de Peehee Mu’huh illustre bien l’augmentation croissante du nombre de mines de lithium. Les Etats-Unis comptent un nombre disproportionné de mines exploitant des minerais de transition. 97 % du nickel, 89 % du cuivre, 79 % du lithium et 68 % du cobalt issus des réserves du sous-sol américain sont extraits dans des mines situées à moins de 55 kilomètres des territoires autochtones. Le groupe autochtone « People of Red Mountain » se bat pour défendre ses terres et a fait appel devant le tribunal contre la construction de la mine de Peehee Mu’huh. Le litige n’est pas encore résolu. Dans le même temps, l’entreprise Lithium Nevada Corporation a porté plainte contre les militant·e·s qui avaient installé un camp de prière, baptisé Ox Sam, dans le but de stopper la construction de la mine. Le camp a été évacué le 8 juin 2023. La coalition SIRGE soutient « People of Red Mountain » dans son combat pour le respect du droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE).

Russie : les mines de nickel et de lithium de Norilsk Nickel

Le géant minier MMC Norilsk Nickel, aussi connu sous le nom de Nornickel, exploite des minerais sur la pé- ninsule russe de Taïmyr. Tout comme le lithium dans le cadre de la transition énergétique, le nickel est un minerai utilisé notamment pour la fabrication des batteries de véhicules électriques. L’extraction du nickel engendre une forte pollution atmosphérique. En plus de cela, l’entreprise rejette ses résidus toxiques dans la nature, non loin de la mégalopole de Norilsk. Elle est également responsable de l’une des plus graves catastrophes écologiques de l’Arctique, survenue en mai 2020. Suite à une négligence de maintenance, 21 000 tonnes de gasoil s’étaient déversées dans la nature environnante, en partie aussi sur des territoires autochtones, et avaient gravement pollué deux rivières. Pour les communautés autochtones touchées, les conséquences de la catastrophe ont été considérables : suite à la pollution, les rennes ont déserté la région, les substances toxiques ont tué les poissons mais également leur source de nourriture à savoir les insectes. Les communautés autochtones ont vu leurs ventes de viande et de poisson diminuer et, par là même, leurs revenus disparaître, les limitant ainsi dans la possibilité d’acheter d’autres denrées alimentaires.

Gasoil dans le fleuve Piassina après la catastrophe environnementale à Norilsk. Photo : màd

Gasoil dans le fleuve Piassina après la catastrophe environnementale à Norilsk. Photo : màd

Nornickel dispose d’une filiale basée à Zoug, en Suisse : l’entreprise Metal Trade Overseas SA. Celle-ci distribue, depuis la Suisse et dans le monde entier, des matières premières extraites en Russie et en Finlande. Nornickel n’a répondu que de manière superficielle aux problèmes causés par la mine aux communautés autochtones locales, tels que l’empoisonnement de leur espace de vie et le risque de voir leur mode de vie disparaître, et ne se montre pas disposée à dialoguer d’égal à égal avec les représentant·e·s des communautés concernées : si l’entreprise a bien pris certaines mesures, les représentant·e·s autochtones n’ont toutefois pas été consulté·e·s sur le déroulement du processus et les faibles dédommagements qui ont été versés sont purement et simplement allés dans les mains de celles·ceux qui n’avaient pas critiqué l’entreprise. La SPM a soutenu ses partenaires autochtones dans leurs revendications adressées à Nornickel et qui demandent à l’entreprise de respecter le droit des communautés autochtones au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE).

Aujourd’hui, un projet de mine de lithium est prévu sur la péninsule de Kola, dans la région de Murmansk, projet dans le cadre duquel Norilsk Nickel a signé un accord de coopération avec la société nationale russe d’énergie atomique Rosatom. La mine sera construite sur le plus grand espace sauvage d’Europe, jusqu’à présent exempt d’infrastructures telles que des routes. La région du lieu de construction de la mine est administrée par les communautés autochtones des Sami·e·s, des Nénètses et des Komi·e·s. Celles-ci craignent que le projet minier entraîne une forte pollution du territoire, avec de lourdes conséquences sur leurs modes de vie, et sont sceptiques quant à la volonté annoncée de Nornickel de les consulter. Nornickel et Rosatom espèrent obtenir une autorisation d’extraction dès la fin 202334. Or, d’après Andrei Danilov, un partenaire de la SPM, seule une petite partie des communautés concernées ont été contactées dans le cadre du projet, et ce, seulement au tout dernier moment.

Norvège : la mine de cuivre de Nussir ASA dans le Repparfjord

En 2014, le groupe minier Nussir ASA projetait d’implanter une mine de cuivre sur le territoire sami près du Repparfjord en Norvège, avec pour objectif l’extraction de 50 000 tonnes de minerai de cuivre sur les sites de Nussir et Ulveryggen (EJA). L’extraction du cuivre et la construction des infrastructures nécessaires devaient avoir lieu sur les terres d’élevage de rennes des Sami·e·s, ce qui aurait fortement fortement limité leur activité. Par ailleurs, le groupe prévoit d’éliminer les déchets miniers directement dans le fjord. La banque suisse Credit Suisse (CS) était également impliquée dans le projet, en tant qu’actionnaire désigné pour un client anonyme à l’époque et détenteur de 26,6 % d’actions chez Nussir ASA. En 2019, la SPM a lancé une campagne sous le slogan « Credit Suisse: Stop banking against the Sámi! », sur l’implication de CS afin de faire pression sur la banque suisse via le grand public et attirer l’attention sur sa responsabilité quant aux violations des droits des communautés autochtones.

Dans ce fjord, le Repparfjord en Norvège, Nussir ASA prévoit une mine depuis quelques années. Photo : Lea Ackermann / SPM

Dans ce fjord, le Repparfjord en Norvège, Nussir ASA prévoit une mine depuis quelques années. Photo : Lea Ackermann / SPM

La mine de cuivre représentait une menace écologique et une violation des droits de la communauté samie en raison de l’absence de processus de consultations, ainsi qu’une menace pour leurs moyens de subsistance. En mars 2019, l’organisation de défense de l’environnement Naturvernforbundet (Friends of the Earth Norway), le Parlement sami et des éleveur·euse·s de rennes ont saisi la justice pour contester la validité de la licence d’exploitation octroyée à Nussir ASA, au motif que la licence délivrée bafouait les droits nationaux et internationaux de la communauté autochtone samie. En décembre 2020, CS a répondu aux revendications des communautés samies et de la SPM : la banque a renoncé à administrer la part d’actions détenues chez Nussir ASA, et a fait preuve de transparence en dévoilant le nom de son client, dont l’identité avait auparavant été tenue secrète, et qui s’est finalement manifesté auprès des Sami·e·s à l’issue de différents entretiens.

Tout cela n’a toutefois pas signé la fin du projet minier. Au cours de l’été 2021, de jeunes militant·e·s ont rejoint les pêcheur·euse·s locaux·ales et les membres de la communauté samie sur les rives du Repparfjord afin de bloquer le projet de Nussir ASA et sa mine de cuivre. Leur présence a attiré l’attention de l’entreprise allemande Aurubis AG, le plus gros producteur de cuivre en Europe, qui a fait savoir qu’elle mettait un terme à son contrat offtake avec Nussir ASA, en raison de préoccupations liées à la durabilité. A l’heure actuelle, le projet de construction de la mine est suspendu, également en raison du désistement de plusieurs investisseurs. Mais la mine est toujours en projet et l’histoire n’est donc pas finie.

Norvège : le parc éolien de Fosen à Storheia

Sur la péninsule de Fosen, en Norvège, le parc éolien de l’entreprise Fosen Wind DA rend impossible l’utilisation une grande partie des prairies de pâturage hivernal par les rennes et les éleveur·euse·s autochtones sami·e·s perdent ainsi une grande partie de leurs moyens de subsistance. Les deux entreprises suisses Energy Infrastructure Partners (EIP), située à Zurich et fondée par Credit Suisse, et BKW Energie SA, dont le siège est à Berne, font partie du consortium d’investisseurs de Fosen Vind DA. En 2013, des éleveur·euse·s de rennes ont déposé plainte auprès du ministère norvégien du pétrole et de l’énergie, contre la présence du parc éolien sur les terres autochtones. Le ministère avait rejeté la plainte, qui fut alors portée devant la Cour suprême de Norvège. En 2021, celle-ci a rendu une décision de justice historique en faveur des Sami·e·s en déclarant illégales les 151 éoliennes de Storheia installées sur les terres autochtones. Avec des représentant·e·s de la communauté samie du Sud, la SPM, par le biais de sa campagne « Turbines Need Sami Consent », a demandé aux investisseurs Statkraft et Nordic Wind Power DA (dont les entreprises suisses EIP et BKW font partie) de se retirer du projet et de respecter le droit des communautés autochtones au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE).

En mars 2023, les Sami·e·s et des militant·e·s pour le climat exhortent le gouvernement norvégien à Oslo à faire respecter les droits des communautés autochtones. Photo : Shutterstock

En mars 2023, les Sami·e·s et des militant·e·s pour le climat exhortent le gouvernement norvégien à Oslo à faire respecter les droits des communautés autochtones. Photo : Shutterstock

Bien que l’arrêt de la Cour suprême norvégienne ait donné raison aux Sami·e·s, le plus grand parc éolien d’Europe est toujours en activité. 500 jours après la décision de justice, des militant·e·s pour les droits des Sami·e·s et pour le climat ont manifesté devant les locaux du Premier ministre norvégien, Jonas Gahr Støre. Rejoint·e·s également par Greta Thunberg, les militant·e·s ont insisté sur le fait que la transition vers l’énergie « verte » ne devait pas se faire au détriment des droits des communautés autochtones. Un des slogans était : « Respect existence or expect resistance » (Respectez l’existence ou attendez-vous à la résistance). Le gouvernement norvégien a fini par présenter ses excuses et promis de trouver rapidement des solutions pour mettre en œuvre la décision de la Cour suprême, et de faire participer les éleveur·euse·s de rennes activement à la recherche de ces solutions.

Des solutions justes plutôt que de l’écoblanchiment

Les exemples décrits précédemment illustrent bien la situation : la construction de nouvelles mines et les projets dits « verts » engendrent une augmentation des conflits environnementaux et l’opposition grandit au sein des populations autochtones. Partout dans le monde, les communautés concernées luttent pour que leur droit à l’autodétermination et leurs terres ne soient pas sacrifiés au nom des solutions actuelles visant à répondre à la crise climatique. Sous prétexte de l’urgence, la transition énergétique et la gestion autodéterminée des terres et de l’environnement par les communautés autochtones ne doivent pas être mises en opposition : dans le cas de Thacker Pass, la mine menace aussi la biodiversité, et le parc éolien de Fosen, l’élevage de rennes des communautés autochtones. Gouvernements et entreprises considèrent cela comme un mal nécessaire.

Les projets de nouvelles règlementations tels que la législation européenne sur les matières premières « critiques » sont également parlants. Le recours aux procédures accélérées que prévoit cette législation entrave davantage l’autodétermination des communautés autochtones. Cela encourage l’écoblanchiment, une stratégie adoptée par les entreprises et les gouvernements pour présenter comme écologiques et respectueux du climat des projets guidés par le profit, et en minimiser les impacts négatifs sur les population et l’environnement.

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Afin de respecter les droits des communautés autochtones et ne pas créer une nouvelle injustice, il faut des solutions justes pour combattre la crise climatique. La justice climatique désigne une approche globale des solutions pour sortir de cette crise, et considère justice sociale et justice écologique comme indissociables. Le terme vient de l’anglais « environmental justice » (justice environnementale), un concept qui trouve son origine dans le mouvement lancé par des militant·e·s des communautés noires et racisées aux Etats-Unis, en réaction à l’élimination de déchets toxiques à proximité de leurs quartiers plutôt que des quartiers blancs. La justice climatique sous-entend notamment la mise en œuvre d’une transition juste. Elle inclut également la reconnaissance de la répartition inégale des causes et des effets du changement climatique, une inégalité qui, sur la question de l’autodétermination autochtone concernant les terres et les ressources, est particulièrement visible. Enfin, il est possible de concilier justice climatique, justice énergétique et justice autochtone.

Cela exige de repenser la transition énergétique de manière globale et de trouver des solutions qui accordent une place centrale aux communautés et aux écosystèmes les plus fortement touchés par la crise climatique. Sur la question de la mobilité et des transports, les solutions possibles passent, par exemple, par la réduction de l’utilisation de la voiture personnelle, le développement de l’économie circulaire, ou encore le recyclage et la réduction de la taille des batteries. La coalition SIRGE, et donc également la SPM, recommande de garantir la participation des communautés autochtones aux questions qui les impactent elles ou leurs terres, ou qui pourraient les impacter, et de s’orienter vers les solutions et valeurs autochtones. Le principe directeur pour toute transaction commerciale et tout partenariat est donc de mener les projets, depuis leur conception jusqu’à leur achèvement, en s’appuyant sur des protocoles formulés par les communautés autochtones afin de respecter le droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE).

Revendications de la SPM

La Société pour les peuples menacés œuvre pour la défense des droits des communautés autochtones dans le contexte de la transition énergétique, notamment par rapport à l’exploitation des minerais de transition nécessaires à la mobilité électrique. Elle s’engage pour que, dans le cas de l’exploitation minière et des projets d’infrastructure destinés à la production d’énergies renouvelables (p. ex. les installations solaires et les éoliennes), les communautés autochtones soient consultées à l’avance et qu’elles puissent, de manière autodéterminée, donner ou refuser de donner leur consentement libre et éclairé. Qu’un Etat omet de ne pas appliquer les normes internationales par rapport aux droits des communautés autochtones n’enlève rien au fait que les entreprises, elles, doivent s’y tenir.

La Société pour les peuples menacés demande aux gouvernements :
  • de respecter strictement et d’appliquer les droits inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), notamment le droit à l’autodétermination territoriale ;
  • de créer les conditions cadres institutionnelles nécessaires afin de garantir le respect des droits des communautés autochtones dans le cadre de l’exploitation des matières premières ;
  • d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) des communautés autochtones dans le cadre de projets d’extraction minière touchant à leur mode de vie et à leurs territoires. Les communautés autochtones doivent être associées à chaque étape du projet, de la phase d’exploration à l’achèvement, en passant par la renaturation du site. Un processus de prise de décision autodéterminé et conduit par les représentant·e·s autochtones doit être garanti ;
  • de signer et de ratifier la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux, si cela n’a pas encore été fait
La Société pour les peuples menacés demande aux autorités et aux responsables politiques suisses :
  • d’adopter une loi efficace sur la responsabilité des multinationales, sur le modèle de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive - CSDDD). Cette loi devra rendre les multinationales responsables en cas de violation de leur devoir de vigilance. Elle devra également prévoir une autorité de surveillance indépendante qui puisse examiner les plaintes et prononcer des sanctions ;
  • de garantir la divulgation des relations d’affaires ;
  • d’ancrer également, outre les normes environnementales, des normes minimales relatives aux droits humains et aux droits des communautés autochtones dans les accords commerciaux et les accords de protection des investissements ;
  • d’inscrire l’engagement pour une gestion responsable des minerais de transition dans la Stratégie pour le développement durable 2030 et le plan d’action afférent, ainsi que dans le Plan d’action national « Economie et droits humains » ;
  • de réduire la consommation de matières premières, c’est-à-dire de définir des objectifs de réduction de la demande (production et consommation), de promouvoir l’économie circulaire (p. ex. recyclage des batteries des voitures électriques), de fixer des normes d’efficacité énergétique, et de créer des incitations pour l’achat de petites voitures équipées de batteries moins lourdes ;
  • de ratifier la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux ;
  • d’ancrer le devoir de diligence en matière de droits humains comme norme minimale pour les produits financiers présentés comme durables, afin d’éviter la pratique de l’écoblanchiment dans l’ensemble de la chaîne économique et en particulier sur le marché financier ,
La Société pour les peuples menacés demande aux acteurs économiques et aux entreprises :

de respecter les droits des communautés autochtones et notamment le droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE). Pour la SPM, cela signifie :

  • dans les phases de planification, de réalisation, de conduite et de clôture de projets :
    • inscrire les droits des communautés autochtones, y compris le CLPE et la DNUDPA, dans les politiques internes et garantir un processus CLPE avec les communautés autochtones ,
    • faire certifier les projets d’initiatives par des normes strictes en matière de droits humains et de protection de l’environnement. Ces projets seront examinés par des tiers indépendants et copilotés par la société civile (p. IRMA Initiative for Responsible Mining Assurance) ;
  • dans les phases d’investissement et de financement relatives aux projets, ainsi que dans la phase d’achat de matières premières :
    • inscrire les droits des communautés autochtones, y compris le CLPE et la DNUDPA, dans les directives internes, dans le code de conduite destiné aux fournisseurs et dans les processus de gestion des risques,
    • rejoindre des initiatives respectant des normes strictes en matière de droits humains et de protection de l’environnement, qui seront examinées par des tiers indépendants et copilotées par la société civile (p. ex. l’Initiative pour l’assurance d’une extraction minière responsable, IRMA) .

Important : ces normes volontaires ne permettront pas aux entreprises de déléguer leur responsabilité en matière de droits humains mais devraient être utilisées par ces dernières comme un instrument parmi d’autres.

La Société pour les peuples menacés appelle l’opinion publique :
  • à apporter une contribution personnelle, à sortir de la culture du jetable, à renoncer aux transports individuels motorisés, et à privilégier l’économie circulaire (recycler, réparer, réutiliser, transformer les produits, ) ainsi que les transports en commun, afin de réduire l’exploitation douteuse de nouvelles matières premières. Lors de l’achat d’une voiture, de privilégier les petits véhicules équipés de batteries plus légères ;
  • pour les personnes souhaitant devenir actionnaires, à investir uniquement dans des entreprises qui se sont engagées à respecter des normes élevées en matière de droits humains et de durabilité.
La Société pour les peuples menacés appelle l’ensemble des acteur·rice·s de la protection de l’envi- ronnement et du climat :
  • à exiger, dans le cadre de la transition énergétique, le recours à des solutions justes pour répondre à la crise climatique, solutions qui considèrent les droits des communautés autochtones et les intérêts des communautés concernées par l’exploitation des matières premières comme ayant autant d’importance que les objectifs climatiques et comme étant indissociables de ces derniers ;
  • à réclamer, dans le cadre de la transition énergétique, le respect du droit des communautés autochtones à l’autodétermination et au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE).
L’urgence de la transition énergétique face à la crise climatique ne doit pas conduire à de nouvelles viola- tions des droits humains. Il faut des solutions justes qui respectent les droits humains et les droits des communautés autochtones.

 

Voici le program " Climate Justice! Respect Indigenous Rights "

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Impressum

Editrice : Société pour les peuples menacés

Texte : Nadira Soraya Haribe

Layout: Tania Brügger Márquez

Adresse postale : Birkenweg 61, CH-3013 Berne / Tél. : +41 (0) 31 939 00 00

Compte pour les dons : Banque Cantonale Bernoise BCBE : IBAN CH05 0079 0016 2531 7232 1

Edition : septembre 2023

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